Aloysius Bertrand
Louis Jacques Napoléon Bertrand, dit Aloysius Bertrand (Ceva, Piémont, 1807–Paris, 1841) est un poète français.
Considéré comme
l'inventeur du poème en prose, il est l'auteur d'une œuvre unique et posthume passée à la postérité,
Gaspard de la nuit (1842).
Né dans le Piémont (Italie), le 20 avril 1807, c'est à Dijon où son père, officier de gendarmerie, s'est installé à sa retraite au début de la Restauration, que Bertrand passe la majeure partie de sa vie.
Il trouvera une grande partie de son inspiration dans les rues et les monuments de cette ville. Il nomme ses poèmes, qu'il commence à publier dans la presse locale,
« bambochades », d'après le surnom du peintre néerlandais Pierre de Laer, bambochio.
À la mort de son père, il devient chef de famille, avec la charge de s'occuper de sa mère et de sa sœur.
Bertrand fonde un journal, Le provincial, en 1828, à la vie très éphémère. Il fréquente les milieux littéraires de Paris, Victor Hugo, Charles Augustin Sainte-Beuve, Charles Nodier, mais le sentiment de honte que lui inspirent sa pauvreté et sa fierté l'empêche de trouver sa place dans le groupe des romantiques parisiens.
De retour à Dijon, il fonde un nouveau journal en 1830,
Le patriote de la Côte-d'Or dans lequel il s'affiche comme profondément républicain, ce qui lui vaut de nombreuses inimitiés parmi les notables de la ville.
Il écrit aussi des pièces de théâtre,
Le sous-lieutenant de hussards et Daniel, sans grand succès. Il décide de s'installer à Paris en 1833 où il mène une vie misérable de marginal provincial. Incompris par sa famille, il se réfugie alors dans le rêve, dans un passé ancien, loin du monde moderne et consacre sa vie à écrire
Gaspard de la nuit dont voici un extrait :
Le cheval mort
La voirie ! et à gauche, sous un gazon de trèfle et de luzerne, les sépultures d’un cimetière ; à droite, un gibet suspendu qui demande aux passants l’aumône comme un manchot.
Celui-là, tué d’hier, les loups lui ont déchiqueté la chair sur le col en si longues aiguillettes qu’on le dirait paré encore pour la cavalcade d’une touffe de rubans rouges.
Chaque nuit, dès que la lune blêmira le ciel, cette carcasse s’envolera, enfourchée par une sorcière qui l’éperonnera de l’os pointu de son talon, la bise soufflant dans l’orgue de ses flancs caverneux.
Et s’il était à cette heure taciturne un œil sans sommeil, ouvert dans quelque fosse du champ de repos, il se fermerait soudain, de peur de voir un spectre dans les étoiles.
Déjà la lune elle-même, clignant un œil, ne luit plus de l’autre que pour éclairer comme une chandelle flottante ce chien, maigre vagabond, qui lape l’eau d’un étang. Aloysius Bertrand finit par mourir de phtisie (= tuberculose pulmonaire) à Paris le 29 avril 1841. Lors de son enterrement, son ami David d'Angers, qui l'avait retrouvé par hasard, peu auparavant, dans l'hôpital où il agonisait, est le à l'accompagner. Il assurera la publication, en 1842, de Gaspard de la nuit, que Bertrand n'avait jamais réussi à obtenir. Cependant cette édition originale sera très fautive.
En 1925 une nouvelle édition, de Bertrand Guégan d'après le manuscrit, corrigera les erreurs les plus flagrantes. Et ce n'est qu'à partir de 1992, date d'acquisition du manuscrit par la Bibliothèque nationale, que ce livre pourra être enfin publié selon le manuscrit et selon les vœux de l'auteur. La reconnaissance de son œuvre n'interviendra qu'au XXe siècle.
Reconnu comme un poète maudit, il deviendra
l'inspirateur de Charles Baudelaire, qui avouera que la tentation lui vint d'écrire le
Spleen de Paris après bien des lectures de
Gaspard de la nuit, qu'il admirait beaucoup.
Adam RABAH